« Le travail m’a sauvé la vie »
Le Grand Oral - Jean-Clément Biard, fondateur de l’Institut paramédical des métiers de la rééducation (IPMR) à NeversInstituts d’ergothérapie et de masso-kinésithérapie, laboratoire du mouvement, et bientôt orthophonie et psychomotricité. Depuis quelques années, Jean-Clément Biard imprime Nevers sur la carte des métiers de la rééducation. Ces projets, et d’autres encore, s’enchaînent à une vitesse folle chez le sexagénaire qui puise dans le travail la force d’un combat à la vie à la mort contre la maladie.
Vous avez fondé en 1990 le lycée privé Epsylonn à Fourchambault. Comment est née l’idée de créer l’Institut paramédical des métiers de la rééducation (IPMR) sur le site Cobalt ?
En 2014, quand on m’a diagnostiqué mon deuxième cancer (voir ci-contre). Je ne pouvais plus m’occuper des jeunes à Epsylonn, mais je me suis dit qu’il fallait que je laisse mon empreinte. J’ai retrouvé Philippe Cordier (adjoint au maire de Nevers et opthalmologiste, NDLR), et j’ai fait la connaissance de Jacques Ballout (cardiologue et président de la commission médicale d’établissement du CHAN) ; c’est au fil des discussions qu’est né le projet d’institut de formation en ergothérapie. J’ai ramé jusqu’à l’ouverture, en 2017. Heureusement, j’ai eu le soutien infaillible de l’Agglomération et du Département.
Après l’IFEN, vous avez ouvert l’Institut de formation en masso-kinésithérapie (IFMK) et le Laboratoire du mouvement. Vous avez en projet des formations en orthophonie et en psychomotricité. Quel est le fil directeur de ces projets ?
On est dans une société où les gens souffrent. Je veux aider à les reconstruire. C’est ce qui fait le succès du laboratoire, les résultats de la réalité mixte sur les handicapés mentaux ou sur la perte d’autonomie sont incroyables. J’ai pour projet désormais d’ouvrir un centre de soins pour handicapés.
Quand je suis sur ces projets, je ne pense pas à la maladie. J’ai une telle envie de créer, d’apporter, que l’adrénaline m’emmène sur des chemins que je n’aurais jamais imaginés. Le travail m’a sauvé la vie.
Le site Cobalt est devenu un véritable campus des formations de santé, avec l’IPMR, l’IFSI, le Pass. Vous investissez dans la transformation d’un des bâtiments de l’ancienne caserne en résidence étudiante. Quel bilan faites-vous de ces années ?
On a pris à Nevers le virage de la réussite, on nous regarde différemment à Dijon, désormais. Mais cela ne suffit pas : il faut qu’il y ait un projet de campus sur le paramédical à Cobalt, avec une bibliothèque, un restaurant universitaire. On va quand même avoir 1 000 étudiants sur le site.
Itinéraire d’un enfant enragé
Jean-Clément Biard a grandi dans une famille bourgeoise du Sancerrois. Père vétérinaire, domestiques aux petits soins, scolarité « chez les curés ». Une vraie marmite pour l’enfant terrible : ❝ J’ai eu une éducation très stricte. La bourgeoisie cachait tout. Quand Mai 68 a éclaté, je suis devenu le révolté du Bounty. ❞
L’élève brillant part néanmoins faire médecine à Tours : ❝ J’en ai fait cinq ans, puis j’ai préféré partir sur les mathématiques, un monde merveilleux qui ne vous trompe jamais. ❞ Mais les maths ne nourrissent pas leur homme. Adepte des virages à 180 °, Jean-Clément Biard entame sa vie active à Rungis, en tant que directeur des exportations d’une société : ❝ J’ai été le premier à exporter des poissons vivants, et à importer des bonsaïs. ❞
Il y reste trois ans, avant d’être rattrapé par le virus de l’enseignement. Nouvelle embardée : ❝ J’ai « tenu » deux ans à Raoul-Follereau, et j’ai créé Epsyllon, à Fourchambault. Je voulais créer le professeur candide, car on ne se rend jamais assez compte de l’ignorance de l’apprenant. Il faut beaucoup d’empathie : enseigner, c’est respecter l’autre dans ses difficultés. ❞ Dans son établissement hors des sentiers battus, il remet au goût du jour « le métier de précepteur », passant d’un élève pour commencer à 350 ou 400 dans deux lycées et une prépa médecine à Clermont-Ferrand. Parallèlement, il poursuit ses recherches en mathématiques : ❝ J’y passais mes jours et mes nuits. Une suite sur les nombres jumeaux porte mon nom. ❞
Sa vie intense, aussi bien réglée qu’une équation, bascule en 2011 : ❝ Mon premier cancer. On m’a trouvé une tumeur de 12 cm à l’extérieur de l’estomac. Alors on m’a enlevé l’estomac ; la digestion se fait dans l’intestin grêle. J’ai été hospitalisé 30 jours, et je me suis remis au boulot. Pendant deux ans, je suis resté dans l’incertitude de la mort, j’avais 30 % de chances de survie à cinq ans. En 2013, j’ai entendu parler d’un traitement, le Glivec ; je suis allé à Portland voir son inventeur, le professeur Decker, qui me suit depuis. ❞
2014, seconde lame : ❝ Un deuxième cancer, à la base de la langue, dû au tabac. Le premier cancer m’avait fait passer de 95 à 50 kg, les médecins me trouvaient trop maigre pour que je sois opéré. J’ai été opéré quand même. Depuis, je n’ai plus de salive, plus de goût, c’est pour ça que je bois tout le temps. ❞
La rage de vivre tient la maladie à distance. L’entourage aussi : ❝ J’ai la chance d’avoir une épouse merveilleuse, Françoise, et mes trois fils, Alban, Axel et Adam. ❞ Mais c’est dans la genèse et l’accomplissement de ses projets, depuis 2014, que Jean-Clément Biard puise une force irréelle, celle qui fait flamber une lueur sauvage derrière ses lunettes : ❝ Vous souffrez le martyre mais vous vous rattrapez sur la création, la bienveillance. Je suis un privilégié, je n’ai peur de rien ni de personne. Je veux montrer qu’on peut tous réussir, parce qu’on a tous du génie. Il suffit de trouver sa voie. ❞
Créer ex nihilo un campus des métiers de la rééducation n’apaise pas le feu. Dès le printemps 2020, Jean-Clément Biard se lançait avec des spécialistes dans la conception d’un traitement contre le coronavirus ; les essais in vivo débuteront fin janvier 2022, avant « des essais cliniques multicentriques regroupant des professeurs de différents CHU comme Liège et Alger. Autres projets, Handi-Cap Santé 58 prévoit « l’ouverture d’un centre de prévention et d’orientation pour les personnes âgées et pour les personnes avec un handicap mental en collaboration avec l’Adapei 58 », sur un terrain en face du CHAN. Enfin, un centre de réhabilitation psychosociale pour les personnes affectées d’une addiction est à l’étude.