Margot Lecoeur (DTGE) et Denis Thuriot

L’interview croisée
Selon des statistiques nationales, 9 % des effectifs de classes préparatoires sont issus de milieux sociaux défavorisés alors que ces derniers représentent 33 % des jeunes. À l’inverse, 64 % des effectifs des classes préparatoires sont issus de milieux sociaux favorisés, alors qu’ils ne représentent que 23 % de leurs classe d’âge. Les jeunes des régions restent par ailleurs rares dans ces établissements. Et ce déséquilibre se retrouve ensuite au niveau des grandes filières sélectives, écoles de commerce, écoles d’ingénieurs, universités parisiennes. Il est pourtant possible d’intégrer ces établissements ! Margot Lecoeur, présidente de la fédération Des Territoires aux Grandes Écoles et Denis Thuriot, maire de Nevers et président de Nevers Agglomération ont répondu à nos questions.

« Les lycéens doivent oser aller au bout de leurs rêves ! »

Margot Lecoeur

Présidente, Fédération Des Territoires aux Grandes Écoles

« Les inégalités d’accès se creusent d’abord dans la tête des lycéens »

Denis Thuriot

Maire de Nevers et Président de Nevers Agglomération

La rédaction : Les statistiques nationales soulignent aujourd’hui une inégalité géographique et sociale d’accès aux grandes filières sélectives… Que pensez-vous de cette situation ?

Margot Lecoeur : aujourd’hui, les inégalités géographiques sont réelles dans l’accès aux grandes écoles. Les chiffres le montrent très bien : un lycéen ayant passé le bac en Île-de-France a 6 fois plus de chances d’intégrer une grande école que les autres. Mais, face à ce phénomène, deux remarques me viennent. Tout d’abord, il me semble que les classes préparatoires et les grandes écoles cherchent aujourd’hui à élargir leur recrutement. Ensuite, les inégalités d’accès aux grandes écoles se creusent d’abord dans la tête des lycéens. En effet, une grande partie de la sous-représentationdes territoires ruraux dans les grandes écoles vient du manque d’informations et de l’autocensure. Bien peu candidatent à ces établissements, dès lors, ils ne risquent pas d’y être admis. D’où les actions entreprises par la fédération Des Territoires aux Grandes Écoles et localement De la Nièvre aux Grandes Écoles.
Autres explications possibles : l’absence d’information et d’encouragement à oser faire des choix ambitieux, la peur de se retrouver seul dans une grande ville et l’impossibilité de financer les frais de scolarité et un logement. Dès lors, l’égalité des chances passe par une obligation de moyens, voire de résultats, que nous devons collectivement remplir – État, collectivités, CROUS – en permettant aux jeunes de vraiment s’orienter en fonction de leurs compétences.
Denis Thuriot : notre objectif est aujourd’hui de permettre l’égalité des chances à tous les jeunes de notre territoire. Mais, il y a effectivement de puissants déterminismes contre lesquels il faut lutter et parmi eux le déterminisme
géographique, lequel est à la fois injuste et aberrant. Pour quelles raisons les jeunes des régions éloignées de Paris n’auraient-ils pas la capacité d’emprunter les voies d’excellence que sont les grandes écoles et les classes préparatoires ?
Aujourd’hui, l’une des principales causes de cette inégalité est sans doute l’autocensure. Certains jeunes doivent se dire que les « prépas » ou les grandes écoles ne sont pas pour eux, qu’ils ne sont pas nés au bon endroit, qu’ils n’ont pas étudié dans le bon lycée… Dans son essai Les invisibles de la République, co-écrit avec Erkki Maillard, Salomé Berlioux – qui a grandi dans l’Allier, le Cher et la Nièvre et qui a passé son bac à Nevers – explique bien ce phénomène.

La rédaction : comment lutter contre ce genre de phénomène ?

M.L. : il faut tout d’abord convaincre les recruteurs des classes prépas et des grandes écoles que les jeunes des territoires ont autant de potentiel que les jeunes de métropole. C’est pourquoi la fédération nationale que je préside se rend régulièrement à la rencontre des grandes écoles, des classes préparatoires et des institutions en lien avec nos combats pour les convaincre que les jeunes ruraux méritent d’accéder à leurs écoles. Ensuite, et c’est là le cœur de l’action d’associations locales comme De la Nièvre aux Grandes Écoles, il faut aller éduquer et prêcher la bonne parole auprès des lycéens. Il s’agit, en discutant de pair à pair, de gommer les frontières et de faire passer ce message : « Si j’ai pu le faire en venant du même village ou de la même ville que toi, alors pourquoi pas toi ? »
D.T. : il faut, dès le lycée, désamorcer la fatalité. Comme le fait l’association De la Nièvre aux Grandes Écoles, il faut informer et organiser des rencontres entre lycéens et étudiants de grandes écoles et de prépas. Et leur montrer que d’autres jeunes de leur territoire ont pu accéder aux filières d’excellence. Cet « effet miroir » est important !

Il faut sans doute aussi développer les partenariats entre les collectivités et les grandes écoles pour faire savoir que nos territoires peuvent être des viviers de talents. Cela passera également par un meilleur maillage des classes préparatoires sur le territoire national et par le développement de cours supplémentaires et facultatifs dans les lycées pour entraîner les élèves à l’oral, leur donner des méthodes de travail adaptées, leur conseiller des lectures et les aider à acquérir une solide culture générale et/ou scientifique.

La rédaction : quelles initiatives prenez-vous pour favoriser l’accès aux études supérieures ?

M.L. : la connaissance est la clé. Beaucoup de jeunes ne connaissent pas les différentes voies de l’enseignement supérieur. C’est donc en les informant mieux qu’ils pourront connaitre les opportunités s’offrant à eux et qu’ils oublieront
aussi certains préjugés. Trop de lycéens nous expliquent encore que tel ou tel parcours n’est pas fait pour eux !

Par nos témoignages nous leur montrons que cela est faux, et qu’ils ont les capacités pour tenter toutes les formations qu’ils souhaitent. C’est le but de nos interventions dans les lycées et de notre dispositif de mentorat.

Notre fédération propose par ailleurs un dispositif national de bourses que De la Nièvre aux Grandes Écoles a rejoint cette année. Car l’argent est aussi un puissant obstacle dans l’accès à l’enseignement supérieur. Nous distribuons ces bourses à raison de 6 000 ¤ sur deux ans qui doivent permettre aux jeunes de faire les études qu’ils souhaitent et qu’ils méritent.

D.T. : en plus de prêter un local à l’association De la Nièvre aux Grandes Écoles, la ville de Nevers a co-organisé au palais ducal, en janvier dernier, la 3e édition du salon « Les grandes écoles pourquoi pas vous ? ». Avec pour objectif de mettre les lycéens neversois au contact d’étudiants qui ont passé leur bac à Nevers avant de partir en études à Sciences Po Paris, à l’ENS Lyon, à CentraleSupélec ou encore en Fac de Médecine et de Droit. Étaient également présentes l’ÉSAAB, la Prépa scientifique du lycée Jules Renard et l’ISAT, parce que Nevers dispose aussi de filières prestigieuses !

En ce qui concerne les études supérieures, Nevers Sup a connu une montée en puissance ces dernières années grâce au développement de ses formations (plus de 50 actuellement) et l’ouverture d’un PASS et d’un Campus Connecté qui permettent respectivement de suivre en distanciel les cours de première année de santé et ceux de plus de 7 000 formations à travers la France. Plusieurs filières paramédicales ont enfin été lancées, portées par des structures privées. Ce vaste choix offre aux jeunes de la Nièvre mais aussi d’autres départements, la possibilité de faire des études près de chez eux, dans une ville à taille humaine tout en réduisant les coûts. Plus globalement, il est urgent en France de développer les sites de proximité. Parce qu’ils permettent de lever un certain nombre de barrières empêchant l’accès aux études, et de mailler notre pays.

Auriez-vous un message à faire passer aux jeunes qui hésitent encore quant à leurs études ?

M.L. : il faut oser. C’est un mot qu’on utilise beaucoup au sein de la fédération, mais il prend toujours beaucoup de sens. Puisque beaucoup de formations sélectives sont loin, les lycéens doivent oser quitter leur département, oser quitter leur famille, oser aller vers l’inconnu, oser pousser les limites, oser accéder aux meilleurs écoles, oser avoir de l’ambition et avoir confiance en leur capacité. Oser aller au bout de ses rêves.
D.T. : u: je leur dirais exactement la même chose : osez, et ne renoncez ni à vos rêves ni à vos ambitions ! Donnez-vous les moyens d’atteindre vos objectifs, par le travail bien sûr mais aussi par la confiance. Et ne jetez pas l’éponge avant d’avoir essayé ! La réussite, c’est de l’implication, des efforts, de la volonté, beaucoup de ténacité, et seulement un tout petit peu de chance. Les inscriptions sur Parcoursup sont souvent vécues comme un stress alors qu’il s’agit simplement de frapper aux portes et de voir si l’on vous ouvre ! Inscrivez-vous dans les cursus qui vous attirent sans a priori. Et si votre premier choix vous place loin en liste d’attente, ne désespérez pas, et attendez que les résultats s’affinent ! Enfin ne restez pas isolés, et n’oubliez pas que vous avez le droit de vous tromper. Il ne sera jamais trop tard pour vous réorienter l’année suivante.

En conclusion ne limitez pas vos défis, et comme le dit la devise du Centre de formation de l’USON Nevers Rugby : défiez vos limites !

Share This